Emmanuel Delmas est sommelier et consultant en vins. Après une expérience dans des restaurants étoilés de 1995 à 2010, Emmanuel a ouvert son blog début 2005 et il est désormais formateur et consultant pour les professionnels et particuliers. Son crédo ? Rendre le vin enfin accessible !
Emmanuel nous a fait le plaisir de répondre à nos questions, profitez de ses conseils et sublimez vos prochaines dégustations de foie gras avec les vins les plus adaptés…
Les vins liquoreux du type Sauternes, accompagnent traditionnellement le foie gras… Qu’en pensez-vous ?
Cet accord est certes devenu une habitude mais je la qualifierai de mauvaise. Surtout si on sert ce mets en début de repas. En effet, le foie gras est un mets délicat et très fin. En l’accompagnant d’un chutney d’oignons, de figues comme ça reste souvent le cas, celui-ci est écrasé. Si de surcroit on lui adjoint un vin sucré alors le foie gras sera complètement étouffé, l’ensemble devenant naturellement… étouffant.
Dès le début du repas, c’est une véritable incohérence. Le foie gras affublé de la sorte n’est plus une entrée mais un dessert. D’ailleurs le vin liquoreux est en quelque sorte un dessert liquide, qui n’a pas sa place en début de repas. Mais au dessert, ou avec un Roquefort par exemple, l’accord est fabuleux.
Autant vous dire qu’une fois l’entrée terminée, vous êtes saturé, et la suite du repas bien compromise. Dommage !
Peut-on envisager d’autres alternatives ?
Un vin blanc sec jonglant entre fraîcheur et rondeur, relativement mûr afin de gagner en finesse et complexité est parfait. Surtout en début de repas. Le cépage chenin est une belle alternative (Saumur blanc, Montlouis, Vouvray, Anjou sec), ou encore un blanc nord rhodanien tel un St Joseph ou Crozes Hermitage blanc. De beaux accords avec des vins ayant entre 5 et 10 ans, voire davantage.
Autre alternative que je trouve merveilleuse, un vin rouge de Bordeaux à maturité, de 10 à 15 ans d’âge, (Haut Médoc, Saint Emilion, Graves 1996 à 2003) finement boisé. Rehaussé de gros sel et d’un peu de poivre, l’accord est majestueux. Le poivre tonifie le foie gras et crée une passerelle entre les tonalités patinées du boisé du vin et la texture fondante du foie gras. La persistance du plat et du vin perdure longuement en bouche, c’est juste remarquable.
Sans oublier un vieux Champagne, qui par ses bulles et ses acidités offre une grande capacité de vieillissement. Après 15 ou 20 ans, un beau Champagne se révèle majestueux, complexe, fin, et si long en persistance que l’accord peut devenir mémorable. J’en ai fait l’expérience avec un Champagne 1970 il y a quelques années… ouvert quelques heures à l’avance, dégusté dans des verres à vin, à la température idoine de 12°. Spectaculaire.
Quel fatal faux pas pouvez-vous nous éviter de commettre ?
De proposer un vin sucré en début de repas ! L’erreur est catastrophique car le sucre alourdit, et écrase les subtilités du foie gras, tout en étant naturellement plus calorique.
Le sucre a sa place en fin de repas, jamais avant, question de bon sens. L’idée étant de remettre les choses à leur bonne place. Nous n’avons rien inventé d’ailleurs. Commenceriez-vous votre repas avec une tarte Tatin ? (rires)
Si vous deviez citer 3 valeurs sûres pour sublimer la dégustation du foie gras ?
Un vin blanc sec relativement charnu en entrée, ou un vin rouge de Bordeaux de 10 à 15 ans. Un vieux Champagne également. Remarquables accords. Sélectionner un bon foie gras, tout en évitant de l’affubler de confitures d’oignons ou autres sucreries dénaturant le foie gras.
Et un dernier conseil, peut-être plus original pour surprendre ses invités ?
L’accord avec un vin finement moelleux peut être fabuleux. On jouera avec l’équilibre sucres-acidités. Un vin sucré parfaitement balancé par l’acidité peut devenir un compagnon formidable. Oubliez alors le chutney horriblement sucré pour juste proposer une fine couche sucrée-acidulée, et par exemple un Jurançon moelleux, plus digeste et empli souvent de vitalité. Accord immense. Et replacez cette alliance à sa place originelle, avant le dessert, en entremets. Nous n’avons rien inventé voyez-vous puisque cet accord était déjà usité au temps des tables royales et impériales il y a plusieurs siècles. Là encore, il suffit de faire preuve de bon sens… (rires)